17 février 2008

Blessent mon coeur d'une langueur monotone...

Compagne savoureuse et bonne
A qui j'ai confié le soin
Définitif de ma personne,
Toi mon dernier, mon seul témoin,
Viens çà, chère, que je te baise,
Que je t'embrasse long et fort,
Mon cœur près de ton cœur bat d'aise
Et d'amour pour jusqu'à la mort:

Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

Je vais gueux comme un rat d'église,
Et toi tu n'as que tes dix doigts;
La table n'est pas souvent mise
Dans nos sous-sols et sous nos toits,
Mais jamais notre lit ne chôme,
Toujours joyeux, toujours fêté,
Et j'y suis le roi du royaume
De ta gaité, de ta santé!
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

Après nos nuits d'amour robuste
Je sors de tes bras mieux trempé,
Ta riche caresse est la juste,
Sans rien de ma chair de trompé,
Ton amour répand la vaillance
Dans tout mon être, comme un vin,
Et, seule, tu sais la science
De me gonfler un coeur divin.
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

Qu'importe ton passé, ma belle,
Et qu'importe, parbleu! le mien:
Je t'aime d'un amour fidèle
Et tu ne m'as fait que du bien.
Unissons dans nos deux cartes
Le pardon qu'on nous refusait
Et je t'étreins et tu me serres
Et zut au monde qui jasait!
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.


Chansons pour Elle - II - Paul Verlaine

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